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L’effondrement des récits
Sebastian Dieguez
3 minutes
« Le byte, B.Y.T.E. ou multiplet en français est l’unité de mesure qui sert à quantité la capacité de mémoire de l’ensemble des puces d’un ordinateur. 1 byte= 8 octets (bit) Voici ce qu’en disait Eric Schmidt, le président exécutif d’Alphabet, société mère de Google en 2013 :
« Il faudrait une capacité mémoire de 5 exabytes –soit 5 milliards de milliards de bytes pour enregistrer tous les mots qui ont été prononcés par les êtres humains depuis l’origine jusqu’en 2013. En 2011, il était généré 5 exabytes de contenus tous les deux jours. Aujourd’hui, on estime que cette quantité d’information est produite toutes les deux ou trois heures. »
Eric Schmidt ne disait pas comment il avait obtenu ces chiffres, mais, même approximatifs, ils donnent une idée de ce qui se passe. Si, du fait des technologies de communication, l’humanité produit autant d’information toutes les deux ou trois heures qu’elle en a produit depuis sa naissance, le sentiment de chaos qui nous saisit chaque matin sitôt qu’on allume la télé ou son ordinateur n’est peut-être pas étonnant. Comment, dans le désordre général, faire entendre quoi que ce soit d’autre que son propre désordre? Comment raconter quelque chose qui fasse sens ? Que reste-t-il même de la notion de récit dans un tel brouhaha ?
Symptôme peut-être de cette situation, la semaine dernière, le Centre National du livre annonçait que les ventes de livres ont baissé en 2018 pour la seconde année consécutive, avec une baisse de 1,7%. Dans le même temps, une pétition titrée L’Europe est en péril, publiée dans plusieurs grands quotidiens internationaux et signée de quelques-uns des plus grands noms de la littérature internationale, dont Milan Kundera et plusieurs prix Nobel tels Svetlana Alexievitch et Elfriede Jelineck, passait complètement inaperçue. Est-on en train de sortir de la société de l’écrit pour celle du bavardage, du bulshitt ou du clash ?
Telle est l’une des questions que pose Christian Salmon dans l’ère du clash qui sort en ce moment chez Fayard, d’où je tire cette citation d’Eric Schmidt. Voici dix ans, Christian Salmon publiait Storytelling, un essai consacré au formatage des esprits par les stories, le discours médiatico-politique et traduit en plusieurs langues. Aujourd’hui, dans ce livre très riche et parfois discutable, il dresse un état des lieux un peu différent. L’explosion de l’information dit-il, ruine tout crédit dans la notion même de récit. »
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