A Paris, « DAU » sème le trouble et les roubles

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A Paris, « DAU » sème le trouble et les roubles
Philippe Escande
4 minutes

Par Aureliano Tonet et Brigitte Salino

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Publié le 19 janvier 2019 à 18h59 – Mis à jour le 22 janvier 2019 à 08h27

Les Théâtres du Châtelet et de la Ville ainsi que le Centre Pompidou accueillent, à partir du 24 janvier, le projet immersif et sulfureux du cinéaste Ilya Khrzhanovsky.

Une petite rue derrière le Théâtre du Châtelet, en janvier, à Paris. Une façade vitrée, noire. Vous poussez la porte, et vous découvrez le Shitty Hole, un bar-restaurant avec une foison de vodkas, de la nourriture géorgienne servie dans de la vaisselle soviétique et, au sous-sol, un couloir rose en forme de vagin, dont le sol s’enfonce sous vos pas.

La nuit est déjà bien avancée. A une table, le réalisateur russe Ilya ­Khrzhanovsky, sa mère et son père, célèbre auteur de films d’animation. A une autre, un chaman asiatique et une productrice canadienne, Martine d’Anglejan-Chatillon. Plus loin, des jeunes gens armés de tablettes, un pianiste de renom, Mikhail Rudy, l’ex-footballeur Eric Cantona, un ancien général des services secrets israéliens, qui se fait appeler Israel Schmitt…

Que font-ils tous là ? Comment un équipage aussi hétéroclite peut-il se trouver rassemblé à discuter dans des volutes de fumée et d’alcool ? La réponse tient en trois lettres majuscules : DAU – prononcer « da-o » –, un projet ahurissant dont ils préparent le lancement.

Du 24 janvier au 17 février, les Théâtres du Châtelet et de la Ville seront ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et sept jours sur sept. Pour y entrer, il faudra se munir d’un « visa » à durée variable – six heures, vingt-quatre heures ou illimitée (de 20 à 150 euros). Pour les deux dernières catégories, on devra se soumettre sur Internet à un entretien psychologique dont les données seront traitées par un algorithme. En fonction des résultats, un itinéraire personnel sera proposé aux participants, qui se retrouveront dans les loges, les bureaux et les couloirs des théâtres maquillés aux couleurs de l’Union soviétique.

Alors commencera le voyage dans DAU, qu’on ne peut ­comprendre si l’on ne sait pas que DAU est la contraction de Lev Landau (1908-1968), prix Nobel de physique (1962), illustre pour ses travaux sur le comportement de la matière à très basse température.

Ilya Khrzhanovsky s’est pris de passion pour ce génie qui a dirigé l’Institut physico-technique d’Ukraine, à Kharkiv. C’est dans le décor reconstitué de cet institut que le réalisateur de 43 ans a tourné DAU, une œuvre-monstre – quinze films, le plus long dure neuf heures – qui s’annonce comme une immersion dans un monde clos et totalitaire. Quelle liberté s’y créer ?

A chacun de trouver les réponses, au cours d’un parcours – interdit aux moins de 18 ans – qui réserve sa part de mystère. Le spectateur, prié de laisser son portable à l’entrée et libre de sortir dès qu’il le souhaite, est muni d’un « Dau-phone » qui le guide. »